ASET TAGUERCIFT

Association Socioculturelle des Émigrés de Taguercift

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AG ASET
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Témoigne Saïd-w-Amar AÏT-YOUCEF

Né en novembre 1909 à Taguercift (Grande Kabylie-Algérie). Émigré en France en 1937. Carrière: Forges de Montataire et Usinor, l'Oise.

Par Yassine CHITTI pour « Les Cahiers de l’AMOI » N°17, Thiverny-Juin 2010

« C’est à ce moment crucial que, fort heureusement, une inspiration m’est venue à l’esprit. Si bien qu’avec un air déterminé, j’ai pu leur répondre : « Je ne suis ni du FLN, ni du MNA mais Communiste (Je mentais bien sûr). Et c’est comme ça que  j’ai pu ainsi m’extirper intelligemment de ce traquenard».

Dans quel contexte l’immigration vers la France a-elle commencés dans notre région?

Bien avant mon époque,  les gens avaient des appréhensions quant à l’idée d’immigrer vers la France. Les premiers flux migratoires dans notre région  n’ont débuté, d’une manière sporadique,  que vers la fin des années 1920.

Pourquoi à ces dates ?

Tout a commencé quand  les survivants, mobilisés lors de la 1ère guerre mondiale, ont commencé à décrire, une fois retournés chez eux, tous les aspects de la vie moderne qu’ils ont pu découvrir  en Métropole. Leurs récits attrayants ont ainsi nourri  en nous une envie de partir pour faire évoluer notre situation. 

Les conditions de vie, à cette époque, dans les villages étaient très rudes. Expropriés par les colons des meilleures terres, comme c’était le cas pour nous du plateau de Fréha, nous avons été réduits à cultiver ce qui restait comme parcelles. En dépit du dur labeur, les rendements  étaient très maigres, à cause du relief et de l’absence de matériel agricole adéquat.

 

C’est ainsi que des villageois, dans la force de l’âge, voulant quitter cette misère, ont décidé de traverser la Méditerranée pour aller chercher du travail en France, aspirant ainsi à  une vie plus correcte pour eux mais surtout pour leurs familles restées au village.

Racontez-nous votre départ 

Je suis parti en janvier 1937 avec quatre personnes de notre village. La traversée par bateau a été très longue. Le voyage a duré au moins 36 heures. Nous étions entassés, presque méconnaissables de fatigue à l’arrivée.

Une fois arrivé en France,  c’était très difficile de trouver du travail au début. Moi personnellement, je suis resté plus d’une année sans travailler. Pour survivre pendant cette période, j’ai dû faire un petit emprunt auprès d’une personne de notre région. Pour le reste, c’était la débrouille.

Cependant, avec  les mesures prises par les  Rouges* , qui ont accédé au pouvoir au moment où je suis arrivé, la durée de travail s’est réduite à quarante  heures  par semaine. Ce qui a eu pour résultat le partage du temps de travail et a permis par la suite à beaucoup de gens d’être embauchés.                                 

*Front Populaire  qui était une coalition de gauche de 1936-1938,  conduite par le socialiste Léon Blum et dont les principales réformes  sont ;  les congés payés  et la semaine de 40 heures.

Quel était votre parcours professionnel en France ?

J’ai travaillé au début comme ouvrier agricole sur une moissonneuse batteuse. Il y avait avec moi cinq personnes de ma région parmi eux mon cousin « Lounes ». Nous enchaînions beaucoup d’heures car le travail était payé à la journée.

Après quoi, j’ai travaillé à Vista, qui était une fabrique de production de bières. A la sortie de l’usine nous étions, moi et me collègues souvent éméchés. On se targuait du nombre de caisses de bières que nous avions sifflées pendant le boulot. On était des fous !

Vient ensuite mon emploi aux « FORGES DE MONTATAIRE », qui a pris par la suite le nom  d’ « USINOR » dans la région de l’Oise. Cette embauche s’est faite suite à une compagne de recrutement à laquelle j’ai pu candidater.

Les recruteurs ont fait passer les français en premier, les gens qui habitaient Montataire en deuxième,  les européens en troisième ordre, puis les immigrés en dernier. J’étais à cette usine parmi une dizaine de gens de notre région, tous embauchés en tant qu’ouvriers.

Pour ce qui est du travail, une fois embauchés, nous étions répartis d’une façon plus ou moins équitable selon nos aptitudes. Nous travaillions huit  heures par jour à la base,  mais nous pouvions travailler un peu plus si nous le souhaitions.

Comment viviez-vous en dehors du travail ?

Les rapports avec les français étaient plus ou moins bienveillants. En dehors des heures du travail, nous nous retrouvions entre collègues au café pour partager une mousse et jouer à la  Bellotte  (ils ne savaient pas jouer aux Dominos).

 Nous devions aussi faire quelques tâches ménagères et préparer nos repas. Nous ne pouvions pas se permettre de manger à l’extérieur avec les salaires bas qui étaient les nôtres.

Mais depuis le déclenchement de la guerre d’Algérie les rapports avaient beaucoup changés. Beaucoup de mes collègues ne comprenaient pas pourquoi les indigènes avaient déclenché cette insurrection et voulaient ainsi se séparer de la France. Je leur prenais  alors des exemples de la vie courante afin qu’il puisse prendre conscience des différences de traitement qui existaient entre européens et indigènes, alors même que nous faisions partie du même pays. 

J’expliquais  ainsi un jour à un collègue français, que travaillant  lui et moi ensemble dans la même usine et  percevant le même salaire, lui il avait le droit d’acheter un fusil et de partir chasser tandis que moi je n’avais pas ce droit,  sauf si j’avais perdu un bras ou un pied à Verdun. Même chose pour pouvoir exploiter un commerce ou voyager.

Aussi faut-il le rappeler, le déclenchement de la guerre de 1954 a fait changer les relations même entre nous les Algériens. Je me souviens avant la guerre, nous étions ravis de croiser un algérien à Paris. Mais depuis la lutte fratricide qui s’est déclenchée entre les deux mouvances FLN  et  MNA, une méfiance s’est installée entre nous.

Pour l’anecdote, un jour à Paris,  je suis rentré par hasard dans un café que je n’avais pas l’habitude de fréquenter. Intrigués par un visage inconnu à ces lieux,  des gens sont venus me voir quelques instants  plus tard et m’ont fait descendre de façon expéditive à la cave pour en savoir un peu plus sur moi, pensant peut-être que je venais dans ce café en mission d’infiltration. Ils voulaient donc savoir si j’étais un partisan du FLN ou bien du MNA. Le souci c’est que  je ne pouvais pas deviner à quel bord politique appartenaient ces  gens visiblement engagés politiquement. A l’évidence, si je n’étais pas un des leurs, les choses allaient mal se passer pour moi. C’est à ce moment crucial que, fort heureusement, une inspiration m’est venue à l’esprit. Si bien qu’avec un air déterminé, j’ai pu leur répondre : Je ne suis ni du FLN, ni du MNA mais Communiste (Je mentais bien sûr). Et c’est comme ça que  j’ai pu ainsi m’extirper intelligemment de ce traquenard.

Y.CHITTI- Mlaghni, Août 2009

Association pour la Mémoire Ouvrière et Industrielle du bassin Creillois

Domaine d’intervention : conservation (collections de musée)
Patrimoine concerné : histoire et archéologie, industriel, scientifique et technique
Activités principales : publication

Date de création : 2000