ASET TAGUERCIFT

Association Socioculturelle des Émigrés de Taguercift

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Témoignage de Tahar-n-Amara CHITTI

Né le 04 mars 1935 à Taguercift en Grande Kabylie (Algérie). Carrière: Ferrière La Grange, La Vieille Montagne et Kuhlmann, Oise 1954-1980

Par Yassine CHITTI pour « Les Cahiers de l’AMOI » N°17, Thiverny-Décembre 2009

«Les spécificités culturelles et coutumières ne favorisaient pas les échanges entre communautés, mais le respect mutuel était de mise entre nous »
Racontez-nous votre arrivée en France.
 
Je suis parti en France pour chercher du travail en novembre 1954. Je me suis établi dans le département de l’Oise. J’ai choisi cette région car il y avait déjà à cette époque beaucoup de mes compatriotes qui s’y sont installés. C’était pour moi un avantage dans le sens où que je pouvais m’appuyer sur eux pour me loger, trouver du travail et m’insérer dans ma nouvelle vie.

A mon arrivée j’ai reçu une aide précieuse de la part des gens de mon village. Je comptais bien sur eux pour trouver rapidement un poste de travail et un endroit provisoire pour me loger. En ce qui me concerne, j’ai pu rejoindre un groupe d’immigrés de Taguercift qui habitaient un ancien château à Laigneveille. Parmi eux mon cousin Mohand-N-Hand qui m’a hébergé.

Après quoi, j’ai mis deux mois avant de trouver mon premier emploi. C’était à l’entreprise « Ferrière La Grange » à Saint-Leu-D’esserent. C’était relativement rapide, ce que n’était pas le cas de tout le monde. D’autres en effet, faute d’en trouver dans la région creilloise, étaient contraints d’accepter de travailler plus loin, dans le nord notamment. Sinon Ils y avaient même ceux qui ont renoncé et sont repartis à leurs pays après une longue période de recherche non concluante.

Comment s’est étalée votre carrière professionnelle dans la région creilloise ?

J’ai commencé à travailler dans une entreprise qui s’appelait « Ferrière La Grange » à Saint-Leu D’Esserent. C’était une entreprise spécialisée dans la tuyauterie et les turbines où je travaillais comme manœuvre qui assistait les soudeurs-chaudronniers. Il y avait avec moi des ouvriers de plusieurs horizons ; espagnoles, russes, arabes et berbères comme moi. Je suis resté jusqu’à 1959.

Puis j’ai travaillé à la « Vieille Montagne » entre 1965 et 1968 à Creil. C’était une entreprise qui fabriquait du Zinc à partir de la carrière brute qui parvenait principalement depuis la ville Annaba à l’est de l’Algérie. Nous fesions sortir, après traitement, des lingots de Zinc par différents poids allant de 25 à 500 Kgs. Par la suite, j’ai travaillé dans une entreprise de produits chimiques qui s’appelait « Kuhlmann » à Villers-Saint-Paul. J’y suis resté jusqu’à 1980, année de mon retour en Algérie.

Centrale EDF Saint-Leu

Quelles étaient les conditions de travail ?

Il y avait des moments où le travail été moins pénibles et d’autres beaucoup plus. Je pense surtout en période hivernale où à l’extérieur les températures étaient très basses. Nous acheminions les tuyaux depuis les camions jusqu’à l’intérieur. La boue nous arrivait jusqu’aux genoux. Une fois à l’intérieur, les tuyaux pouvaient être traités ; coupés, chanfreinés et soudés. Il faut rappeler qu’à l’époque, les moyens de manutention n’étaient pas aussi développés comme de nos jours. Les taches étaient beaucoup plus manuelles.

Il y avait une forte présence des étrangers dans la région creilloise nous dit-on !

Effectivement, de toutes les origines ; des italiens orientés vers la maçonnerie, des espagnols spécialisés dans l’électricité-bâtiment, des portugais et des maghrébins qui travaillaient pour la plupart d’entre eux comme OS (Ouvriers Spécialisés). Bien évidemment aux cotés des français qui occupaient des postes à des niveaux hiérarchiques différents, allant du simple ouvrier jusqu’au haut responsable.

Y avait-il des décalages de rémunérations entre les ouvriers ?

Oui, il y avait des différences dans les rémunérations, mais qui n’étaient pas systématiquement liées aux origines des salariés. Ces différences existaient essentiellement du fait que les grilles des salaires n’étaient pas similaires d’une société à une autre. Vient après la nature et l’échelon du poste que nous occupions. Là où je travaillais par exemple à « Ferrière La Grange », Nous étions payés un peu plus qu’ailleurs en raison des risques et de la pénibilité des taches qu’on exécutait.

Comment viviez-vous en dehors des heures du travail ?

Nous ne mélangions pas trop avec les autres communautés, notamment européennes. Chacun de nous vivait principalement au sein de son propre groupe. Les spécificités culturelles et coutumières ne favorisaient pas les échanges entre communautés, mais le respect mutuel était de mise entre nous.

La Vieille Montagne

Quel était le sentiment d’être aussi loin des siens ?

Même si nous étions regroupés entre membres de notre communauté, chacun de nous ne pouvait s’empêcher de penser à sa petite famille. Nous étions joyeux en rentrant chez nous et triste lorsqu’on en revenait. Nous nous sentions davantage tristes en période des festivités. Les moyens de communication n’étaient pas si développés comme c’est le cas aujourd’hui. Nous envoyions des lettres, qui mettaient beaucoup de temps, ou par le biais des personnes qui allaient se rendre au pays. Ça nous permettait de nous enquérir de leur nouvelles et de leur envoyer, au passage, de l’argent ou des objets. Par ailleurs nous utilisions le Téléphone pour les affaires urgentes. Pour établir cette communication, il fallait d’abord envoyer un télégramme pour convenir du jour et de l’heure précis de l’appel. Et ça fonctionnait pareil de l’autre côté.

On parle d’une forte activité industrielle dans la région creilloise à l’époque ?

Tout–à-fait, je n’ai pas en tête tous les noms d’entreprises qu’il y avait, mais je peux vous dire qu’à la sortie d’usines, les rues étaient bourrées à craquer. Il y avait une forte concentration d’activités industrielles dans cette région : USINOR dans la métallurgie et BRISSONNEAU dans l’automobile à Montataire- KUHLMANN spécialisée dans l’industrie chimique Villers-Saint-Paul LA VIELLE MONTAGNE fonderie de Zinc et RIVIERRE CLOUTERIE à Creil- MONTUPET qui fabriquait des moteurs d’avion à Nogent-sur-Oise et DESNOYERS qui fabriquait de tubes à Laigneveille et beaucoup d’autres.

Que pouvez-vous nous dire sur cette tranche de vie qui est la vôtre ?

Les conditions de vie au village nous ont contraints de partir si loin pour arriver à subvenir aux besoins de nos familles. C’était pour nous une question vitale.

Une fois en France, nous avons découvert une société très bien organisée. Ça reste pour moi le fait le plus marquant que j’ai gardé de ce pays. Un environnement où plusieurs groupes, issus de différentes nationalités, ont appris à vivre ensemble sous un mode d’organisation harmonieux. Respect, rigueur et mérite sont des notions dont j’ai appris le sens.

Mais le fait qu’on y soit tout seul, laissant sa famille au pays, cela ne nous a pas permis de profiter pleinement. Certains, comme moi, ont fait le choix de retourner au pays. Avec du recul, je dirai que le mieux était de les faire tous ramener en France. Mais bon, j’ai choisi de les rejoindre à la terre natale et nous nous sommes de nouveau réunis.

Ighzer U-Malu, Août 2009.

Association pour la Mémoire Ouvrière et Industrielle du bassin Creillois

Domaine d’intervention : conservation (collections de musée)
Patrimoine concerné : histoire et archéologie, industriel, scientifique et technique
Activités principales : publication

Date de création : 2000